Aux prémices d’un nouveau millénaire, le monde, tel un chapitre s’ouvrant dans le grand livre de l’histoire, s’engageait sur les sentiers de la modernité. Pendant ce temps, dans l’intimité feutrée du foyer Stroganoff, une nouvelle page s’écrivait avec l’arrivée d’une nouvelle vie : Yulena, une douce effluve féminine venant éclairer les jours de la famille. Pour Govyadina, l’aînée, elle était un rayon de lumière bienvenu.
Ignorant encore la destinée qui se tissait autour de lui, le patriarche Stroganoff se tenait dans l’expectative, ignorant que cette naissance ne serait pas la dernière à bercer son existence. Un troisième souffle de vie, une dernière étreinte du destin, viendrait compléter le tableau familial. Trois filles, semblables à des joyaux dans l’écrin de la lignée Stroganoff. Mais dans une société gouvernée par la main de l’homme, où le pouvoir, la richesse et la loi se confondaient, cette profusion de féminité semblait être un défi.
Cette épreuve se trouvait exacerbée par le déclin progressif de la fortune familiale, peinant à s’adapter à la cadence frénétique d’un monde en mutation perpétuelle. Pour le père, épris de la quiétude des campagnes, la tumultueuse effervescence de la capitale moscovite était une cacophonie indésirable. Un refuge paisible, là où le temps semblait s'étirer en une mélodie douce, offrait un havre de paix où ses filles pourraient s'épanouir loin des fracas du progrès.
Les ravages de la Grande Guerre avaient bien failli arracher à cette lignée ses précieuses terres, englouties par les abysses d’un effort de guerre trop insoutenable. Confrontée à cette réalité terrifiante, la noblesse déclinante, empêtrée dans les méandres de son propre déclin, se trouvait contrainte de trouver une issue. Un mariage. Un marie de la plus haute importance, le fardeau reposant invariablement sur les épaules de la primogéniture.
Govyadina incarnait la quintessence d’un monde révolu, où son destin se limitait à épouser un homme fortuné, voire puissant. Sans frère pour assumer cette responsabilité, il revenait à elle de hisser l’étendard de la famille vers les sphères sociales plus élevées. Son père lui avait inculqué cette mission avec une clarté déconcertante. Si le nom Stroganoff devait perdurer, c’était dans le sang qu’il trouverait son salut.
Ainsi fut orchestrée la grande parade des prétendants, beaux, nobles et empreints de leur propre aristocratie ancestrale.
En ces festivités, elle n’était pas la seule à être soumise à l’impératif du mariage. D’autres familles étaient également présentes, motivées par des objectifs similaires. En tant que fille de la lignée Stroganoff, elle attirait inévitablement l’attention. Parmi les prétendants, il y avait Alexandre.
Héros des premières batailles de ce conflit européen, son esprit vif l’avait écarté rapidement du front.
Un homme comme lui, disait-on,
il est précieux, il faut le protéger, qu’il forme nos jeunes recrues, qu’il guide nos armées. Avec lui, notre empire s’étendra jusqu’à Paris ! Lors des soirées mondaines, tous les regards convergeaient vers lui avant même que quiconque ne puisse réagir. Il dégageait un silence chargé de mystère, une aura presque surnaturelle.
Le “Napoléon russe”, ainsi que leur père aimait le surnommer, à force d’écouter ses récits de guerre, était un homme d’ambition inébranlable. Il suffisait d’un brin de perspicacité pour s’en rendre compte. Cependant, Govyadina, la plus âgée et la mieux instruire de sa fratrie, était la première sur la liste des prétendantes. Sa famille était désespérée à cette idée.
Pourtant, Alexandre était dépourvu de richesse, celle-ci se limitant à l’or de ses médailles. Cela n’empêchait toutefois pas la jeune femme de s’intéresser à lui, bien au contraire. C’est ainsi qu’elle l’avait présentée à sa cadette, Yulena.
Elle connaissait sa sœur aussi bien que sa propre personne. Dès le début de leur rencontre, l’alchimie entre Alexandre et Yulena était palpable.
Vous ne rencontrerez jamais une âme aussi douce et aussi confiante, avait-elle déclaré en la présentant.
Mais lorsque Govyadina laissait son esprit divaguer durant la nuit, c’étaient des les yeux de Sasha — surnom affectif pour Alexandre en russe — qui hantaient ses rêveries, alors qu’elle imaginait ce qu’elle aurait pu avoir si elle n’avait pas à porter tout l’orgueil de son père.
Elle pourrait le dire à sa sœur et elle se résignerait, il serait alors sien. En réponse, Yulena lui dirait que tout va bien et ce serait un mensonge.
Au moins, ma chère Yulena était sa femme…Au moins, je gardais les yeux de Sasha dans ma vie.L’idylle prit brusquement fin au moins d’août 1917.
La Stroganoff se souvient encore de cette nuit-là. Quelques mois plus tôt, l’empereur avait été renversé. Désormais, c’était au tour des bolcheviks de démolir chaque vestige du régime trariste. La famille de Govyadina se trouvait parmi les victimes de ce bouleversement.
Pourtant, le père se voulait rassurant envers sa famille. Ils étaient loin de Moscou. Ils n’appartenaient pas à l’élite aristocratique. Les gens qui travaillent pour lui étaient bien traités. Il n’y avait aucune raison pour qu’ils subissent le même sort. C’était impossible. Inconcevable.
Govyadina se rappelle encore de cette nuit-là. C’était peu après le crépuscule. Comme à son habitude, Sasha les avait rejoints, jusqu’à ce que de jeunes hommes en uniforme envahissent la propriété, armés jusqu’aux dents. Le père était à l’extérieur et ne revint jamais. Les cris de la mère résonnaient dans la pièce adjacente. Govyadina, elle, se dressa devant ses soeurs. C’était son devoir après tout.
A partir de ce moment-là, les souvenirs s’estompent. Elle se rappelle juste que la porte du salon s’est ouvert violemment, laissant apparaître Sasha face à ces jeunes hommes, ils le menaçaient de leurs armes, et sans réfléchir, elle s’interposa.
L’instant d’après, elle était dans ses bras. Elle se demandait alors si tout cela n’était pas qu’un rêve. Ses yeux ne la quittaient pas, même lorsque tout s’assombrissait autour d’eux. Cette image, elle ne pouvait compter le nombre de fois où elle l’avait imaginée avant de s’endormir.
La vampire se souvient encore. Cette soif insatiable. Ce bruit lancinant. Cette douleur lancinante. Mais surtout, elle se rappelle de sa présence. Elle était à la fois réconfortante et irréelle, tout comme ses explications. Et pourtant, à chaque fois qu'elle le repoussait face à ses mensonges, elle finissait toujours par pleurer son absence.
Les mensonges se transformèrent peu à peu en une vérité qu’elle accepta. Une nouvelle existence qu’elle embrassa à ses côtés. De son ancienne vie, elle ne garda que Sasha. Lui seul,
Mon cher Sasha.Govyadina traversa ensuite les vastes plaines de la Russie, assistant à l’émergence du communisme. Elle était captivée par les rêves de liberté qui planaient dans l’air épais de son pays. La jeune vampire dansait sur les rives de la Neva, enivrée par les promesses d’un avenir brillant, toujours aux côtés de Sasha.
Pourtant, même au milieu de l’agitation des hautes sphères, elle ressentait déjà un étrange détachement. Les idéaux flamboyants de la première génération semblaient lointains et insignifiants à ses yeux, comme des bougies vacillantes dans le vent de l’Histoire.
Les visages des rencontres passaient devant elle comme des ombres fugaces, leurs discussions brèves et passionnées laissant une empreinte éphémère sur son cœur immortel. Elle observait les étoiles dans le ciel de Sibérie, scrutant les constellations à la recherche d’un signe, d’une réponse à ses questions sans fin.
Mais, dans le silence glacé de la nuit sibérienne, elle ne trouvait que le vide, un écho sans fin de son propre désespoir. Cependant qu’elle se plaignant de la fadeur de son existence, car elle s’ennuyait et ne savait pas quoi faire d’elle-même, le monde fut touché par une nouvelle ère glacière.
Les siècles continuèrent à s’écouler, où chaque lever de soleil était une promesse vide et chaque coucher de soleil un rappel cruel de sa solitude. Et alors que le monde sombrait dans une léthargie glaciale à petit feu, Govyadina ne se rendait pas compte que le sien était sur le point d’entrer dans une exaltation comme elle n’en avait encore jamais connue.
Un nuit, alors que le couple s’était enfoncé dans les pays européens, Sasha rentra. Il était survolté, alors qu’elle essuyait encore les sanglots de son absence. Une de plus. Mais cette fois-ci, c’était différent, il agissait différemment. Au début, elle rejeta ces notions avec dégoûts, voyant en elles seulement un nouvel avatar de la cruauté qui avait consumé son être depuis si longtemps. Mais, à mesure que Sasha lui exposait ses plans ambitieux, ses différentes rencontres, une étincelle de curiosité naquit dans les ténèbres de son esprit tourmenté.
Elle commença à écouter attentivement, captivée par la passion ardente avec laquelle il parlait de leur destinée commune en tant que maîtres de la nuit. Peu à peu, Govyadina commença à percevoir une lueur d’espoir dans les idées de Sasha.
Alors peut-être… pouvait-elle trouver un but dans cette quête de domination vampirique sur les mortels.
Peut-être… en embrassant pleinement sa nature de prédatrice, pourrait-elle trouver un sens à sa vie éternelle.
- Tu as raison. (car il fallait bien commencer par flatter l’homme qu’il était)
Nous, vampires, sommes supérieurs en tout point. Pourquoi devrions-nous cacher ? Pourquoi devrions-nous fuir ? Cette façon d’agir, c’est la façon d’agir d’une proie. Nous sommes des prédateurs.Sous l’influence persuasive de Sasha, Govyadina commença à se reconstruire, à se réapproprier son pouvoir et sa détermination. Elle se mit à contribuer activement à l’élaboration des plans de son compagnon, puisant dans sa propre intelligence et sa ruse pour aider la dissidence, Silas Reed.
Ainsi, elle utilisa son charme vampirique et sa noblesse pour s’infiltrer dans les cercles sociaux et politiques des mortels, manipulant les puissants et les influençant pour servir les intérêts des vampires. Son objectif, lors de ces bals, était clair : saper leur autorité et les transformer en instruments de domination vampirique.
De cette manière, elle contribua à la diffusion de la propagande vampirique, utilisant la manipulation psychologique pour conditionner les humains à accepter leur statut inférieur et à obéir aux ordres vampires. Elle profitait des attaques de ces pairs pour appuyer son propos, semant au passage les graines de la terreur.
Si Sasha était dans une approche plus armée de la domination, Govyadina soutenait les expériences visant à modifier génétiquement les humains pour les rendre plus vulnérables, améliorant leur rendement. Chacun à sa manière travaillait dans le but de créer une race d’esclaves humains entièrement sous à leur volonté.
Pendant que, durant plusieurs siècles, elle œuvrait à la diffusion des idées de Reed, les prémices de la guerre commençaient à se manifester. La russe avait été envoyée en mission secrète, chargée d’infiltrer les lignes ennemies et de semer la discorde parmi les mortels.
Une nuit comme les autres s’était-elle dit
Alors, qu’elle avançait avec prudence, son oreille affûtée perçut soudain le son des pas pressés derrière elle. Elle se retourna vivement pour découvrir une patrouille humaine qui avait repéré sa présence. Sans hésitation, Govyadina prit la décision de ne pas se battre, sachant que cela attirerait trop l’attention. Elle refusa de montrer la moindre trace de peur ou de faiblesse, car pour elle, ce n’était qu’un moment de détention temporaire, dans une longue bataille qui était loin d’être terminée.
Govyadina Strogonoff se retrouva enfermée dans les entrailles sombres d’une cellule souterraine, confrontée à son propre reflet dans l’obscurité oppressante. Les années d’endoctrinement et la présence de Sasha avaient forgé une vision déformée du monde dans son esprit.
Et alors que les voiles de sa conviction flottaient fièrement au vent, une tempête grondait à l’horizon. Les vagues du doute et de désillusion commençaient à s’élever, menaçant de submerger son navire idéologique.
Les écueils de la réalité émergeaient, brisant la coque de ses certitudes. Les marins de la raison, avec leurs lanternes de lucidités, éclairaient les ténèbres de son esprit tourmenté. Elle commença à voir au-delà de la surface, à reconnaître en les humains, des êtres dotés d’émotions et de désirs similaires aux siens. Un écho de son passé lointain refit surface, faisant remonté une compassion longtemps enfouie.
Sous le poids des vagues déferlante de la vérité, l’horizon entre le bien et le mal n’était pas aussi nette qu’elle l’avait toujours cru. Confrontée à la destruction et à la douleur qu’elle avait causées, les mats de son idéologie vacillaient, menaçant de s’effondrer. Les échos tumultueux des révélations fracassantes — les cris des victimes innoncentes résonnaient dans ses cauchemars, et chaque goutte de sang versée devenait une accusation contre sa conscience tourmentée — la secouaient jusqu'au plus profond de son être. Le phare de la conscience guidait son navire vers des eaux inconnues, où les constellations de ses convictions anciennes s'évanouissaient dans le crépuscule.
Finalement, épuisée par la lutte contre les tempêtes de l’illusion, Govyadina abandonna le gouvernail de ses croyances autrefois inébranlables. Son navire idéologique, jadis fier et majestueux, dériva sans cap ni direction, balloté par les courants changeants de la réalité. Et dans l'océan tumultueux de la vérité, elle chercha désespérément une terre ferme où trouver refuge.
Année 2801. Palais de justice de Paris.
Une effervescence inhabituelle régnait dans les couloirs. Depuis maintenant plusieurs semaines, avait lieu un procès de grande envergure, rappelant ceux des humains. En effet, un an après la guerre, il était temps de juger les perdants, les traîtres. Qu’ils fussent dissidents ou potentielles rebelles.
Les immenses salles du Palais de Justice étaient réservées aux accusés de grande importance, les plus petites, elles, étaient pour la plèbe. Toutes ne désemplissaient pas et les jugements se faisaient à la chaîne. Une justice expéditive, s’il en était.
Dans une chaleur presque étouffante, tous attendaient que le témoin prenne la parole. C’était une femme, dont la lumière des bougies venaient illuminer une robe d’un rouge sombre. Les traits tirés, elle semblait être perdue dans ses pensées.
Les secondes s’égrainaient, sans qu’aucun mot ne soit prononcé, créant au passage une certaine frustration chez les juges. Toutefois, la vampire faisait office de témoin clé dans cette affaire et sans son témoignage il n’y aurait pas de jugement.
Les souvenirs de presque neuf siècles passés avec Sasha, son compagnon d’autrefois, se mêlaient aux vagues de doute qui ébranlaient son esprit. Son cœur, tel un navire battu par des vents contraires, oscillait entre la nostalgie des moments partagés et la froide réalité de la manipulation dont elle avait été victime.
Autrefois, elle avait cru que l’amour qu’elle éprouvait pour lui était aussi profond que les abysses les plus sombres de l’océan. Mais aujourd’hui, alors qu’elle se tenait devant le tribunal, son âme était secouée par les tempêtes de la vérité révélée. Elle réalisait maintenant que son attachement à Sasha n’était qu’un mirage, une illusion façonnée par les ombres de son aura vampirique.
Chaque souvenir, chaque étreinte partagée était dormais teinté d’amertume, comme les vagues salées portant ceux ayant cédé aux chants des sirènes. Elle se sentait trahie par ses propres émotions.
Dans le tumulte de ses pensées, elle cherchait désespéramment un cap à suivre, une lueur d’espoir dans les ténèbres de ses doutes. Elle s’était échouée dans les méandres de son passé, incapable de distinguer les écueils des souvenirs ensorcelants.
- Dame Stroganoff, prenez le temps qu’il vous faut.Ses mots, ceux d’Argus le procureur en charge de l’affaire, agirent comme une bouée de sauvetage jetée à une âme en détresse, l’arrachant aux courants tumultueux de ses pensées dérivantes.
Malgré la tempête qui faisait rage en elle, une lueur d’espoir persistait, fragile comme un rayon de soleil à travers les nuages. Peut-être, dans ce procès, trouverait-elle enfin le courage de briser les chaînes du passé et de voguer vers un avenir où elle serait enfin libre des marées de manipulation et de doute.
Soudain, Govyadina retrouva pied sur le pont de la réalité, ses pensées se dissipant comme les nuages se dispersant devant le souffle d’un ouragan qui s’apaise.
Elle se redressa sur son siège, son regard portant le poids de neuf siècles de vérité refoulée. D'une voix aussi tranchante que les lames d'un navire fendillant les flots, elle commença à dévoiler les sombres secrets qui avaient longtemps hanté son âme.
A plusieurs reprises, la vampire croisa le regard d’Alexandre,
Fini les “Sasha”, son regard déterminé comme celui d’un capitaine fixant les flots agités de l’océan.
Elle évoqua les premiers jours de leur rencontre, quand elle était encore aveuglée par les promesses d’amour et de loyauté de cet homme. Puis, avec une clarté glaciale, elle révéla la vérité : Alexandre avait rejoint les dissidents dès la première heure, ourdissant des complots contre le conseil des six.
Govyadina décrivit les nuits où il rentrait couvert de sang, les murmures séditieux qu’il chuchotait dans l’ombre, semant les graines de la rébellion dans le cœur des hommes. Son témoignage était un phare dans la nuit, éclairant les sombres machinations de celui qu’elle avait un jour aimé.
l’avais-je seulement ?Chaque mot qu’elle prononçait était comme une vague s’écrasant contre les remparts de l’ignorance, révélant la vérité nue et crue. Un cri de vérité dans une océan de mensonge, une déclaration de courage dans un monde où la peur régnait en maître.
Cependant qu’elle terminait son propos, sous le regard d’un Argus satisfait et reconnaissant, l’audience éclata en une cacophonie tumultueuse. Les murmures indignés se transformèrent en cris de colère, comme des bourrasques furieuses qui secouent les voiles d’un navire en pleine tempête. Les spectateurs, tels des marins pris au piège dans une mer agitée, se levèrent de leurs sièges, leurs voix s’élevant comme le rugissement du vent.
Dans cette atmosphère électrique, le juge tenta en vain de ramener le calme, mais ses paroles se perdirent dans le tumulte de l’audience en ébullition. Certains applaudissaient, reconnaissant la bravoure de la Stroganoff, d’autres la voyaient tout autant coupable que lui.
Au milieu de ce chaos, Govyadina restait droite, son visage impassible comme le roc face aux vagues déchaînées. Elle avait accompli ce qu'elle était venue faire, et même si l'orage grondait autour d'elle, elle restait immuable, telle une figure de proue résolue face à la tempête, guidant son propre destin vers des eaux plus calmes.
Quelques jours plus tard, dans le calme solennel de l’aube, Govyadina se tenait silencieuse. Le soleil commençait à émerger, peignant un ciel d’une palette de teintes dorées. A ses côtés, l’ombre imposante de la potence se dressait comme un rappel sombre des évènements à venir.
Alors que le jour naissant dissolvait peu à peu les dernières ombres de la nuit, une procession lugubre s’avança lentement vers la place d’exécution. Alexandre, désormais à condamné à payer pour ses crimes, marchait résigné, sa silhouette autrefois imposante maintenant courbée sous le poids de son destin inévitable.
Cependant que le corps du vampire russe s’embrasait sous les caresses solaires, Govyadina sentit un poids invisible se soulever de ses épaules. Une paix intérieure, aussi douce que la brise caressant son visage, l’envahit soudainement.
La paix, enfin.Cette sensation de libération qui l’envahissait n’était pas due à la satisfaction d’avoir obtenu vengeance, mais plutôt le soulagement de pouvoir enfin tourner la page, de laisser derrière elle les chaînes du passé.
- Qu’allez-vous faire maintenant ?Argus était également présent. Pour lui l’avenir de la Stroganoff n’était pas totalement radieux. Elle avait aidé à condamner une ennemie du Caliçat en devenir, mais au regard de spectateurs elle était tout aussi coupable que lui.
- Une force armée va se créer. L’inquisition. On pourrait avoir besoin de gens comme vous là-bas. De personnes pour qui la vérité et la justice sont les maîtres mots. Cela semblait être votre cas, l’autre jour. Pour vous, le Caliçat est plus important que l’individue, n’est-ce pas ?La vampire ne le regardait pas, bien qu’elle considérait ce qu’elle entendait. Mais qu’allez lui coûter de rejoindre un tel groupe ?
Peu importe, si cela me permet d’écrire ma propre histoire. se disait-elle dans un léger sourire.
Govyadina, la vampire, la Stroganoff oublia petit à petit les périodes de son passé, comme la mer qui venait effacer les mots écrits sur une plage de sable.
Dans les sombres couloirs de l’inquisition, une silhouette énigmatique se dessinait, enveloppée d’un air de mystère qui semblait émaner d’elle comme une aura palpable. C’était Katarina Tolstoï — nom donné à son entrée dans l'Inquisition, autrefois Govyadina Stroganoff —, une femme d’une beauté glaciale et d’une prestance indéniable, héritage de sa noblesse humaine et dont les origines russes se manifestaient dans chaque mouvement gracieux et dans chaque regard impénétrable.
Son visage, sculpté dans le marbre pâle de la lune, portait les marques du temps et des épreuves traversées. Son regard, d’un bleu profond comme les abysses, semblait contenir des siècles de sagesse et de tourments. Mais derrière cette façade impassible se cachait une volonté de fer et une détermination sans faille, forgées dans les ténèbres de son existence immortelle.
Pourtant, malgré sa loyauté envers l’Inquisition et sa dévotion envers la protection du Caliçat, Katarina restait une énigme pour beaucoup au sein de l’institution.
Certains la considéraient avec méfiance, craignant les sombres secrets qu'elle pouvait dissimuler. D'autres, cependant, reconnaissaient en elle une alliée précieuse, capable de braver les dangers les plus redoutables pour défendre la cause qu'elle avait embrassée, muée par la rédemption des actes commis par le passé et par le désir de tracer son propre chemin.
Le vent soufflait à travers les branches tordues des arbres centenaires qui entouraient le domaine de Roncepourpre, apportant avec lui un murmure lugubre qui semblait porter l'écho des malheurs passés. C'était là que Katarina Tolstoï avait été envoyée par l'Inquisition, chargée d'enquêter sur les attaques rebelles qui frappaient le domaine avec une violence croissante.
Alors qu’elle pénétrait dans l’enceinte sinistre du château, les souvenirs d’un passé ressurgissaient dans son esprit immortel. Un lointain passé pour l’homme, la veille pour une vampire. Il y a un peu plus de cinq cent ans de cela, elle avait été traînée devant les tribunaux, accusée de complicité avec les rebelles et les dissidents qui avaient provoqué la décennie de guerre précédente. Son passé trouble et ses liens avec des figures douteuses suscitaient des interrogations persistantes sur ses véritables intentions. Même après tant d'années, le voile de suspicion qui l'entourait refusait de se dissiper complètement.
Certains murmuraient que Katarina avait toujours des liens avec les dissidents, que son alliance avec l’ordre était un stratagème pour infiltrer ses rangs et trahir la caliçat de l’intérieur. D’autres la défendaient, arguant qu’elle avait renoncé à ses anciennes affiliations pour rejoindre les rangs de l’Inquisition, qu’elle avait même renoncé à sa noblesse ainsi que son identité et qu’elle servait la cause avec dévotion.
Et cependant que le domaine de Roncepourpre était en proie au chaos, les regards se tournaient à nouveau vers elle. Certains la voyaient comme une alliée précieuse, capable de comprendre les motivations des dissidents et de les neutraliser efficacement. D'autres la considéraient avec méfiance, craignant qu'elle ne profite de la situation pour servir ses propres intérêts obscurs, remous d'un passé lointain.
Pourtant, dans le cœur de Katarina, brûlait toujours la flamme de sa loyauté envers l'Inquisition et sa volonté de protéger le Caliçat contre toutes les menaces, qu'elles viennent de l'extérieur ou de l'intérieur. Armée de sa détermination inébranlable et de son intelligence acérée, elle s'apprêtait à plonger dans les profondeurs ténébreuses du domaine de Roncepourpre, prête à affronter les démons de son passé et à défendre la cause qui avait donné un sens à son existence immortelle.