Les souvenirs de sa vie humaine ne sont plus. Lyudmilla ignore qu’elle femme elle fut autrefois. La fille de qui ? La femme de qui ? Le visage de son créateur est inexistant dans ses mémoires, mais son influence semble persister. Lyudmilla a de curieuses réminiscences de ce lien exclusif qui existe dans son corps malgré son absence dans sa conscience. Une effluve qui lui rappelle la chaleur d’une étreinte, un ciel qui suscite une tension. Ses premières années sont là, elles la hantent à son insu.

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Lyudmilla est originaire de Novozem, une ville située en territoire slave. Dorénavant inexistante, elle a été décimée et abandonnée à la suite de l'apparition de la Faim du Diable. À cette époque, le manque de contrôle l’effraie. Une peur constante coule dans ses veines; elle est sauve nulle part. La violence la guette. Elle prie pour qu’un dénouement apaise son domaine d’origine mais rien ne vient.

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Lorsque les vampires se déchaînent, Lyudmilla n’est pas épargnée. Elle est attrapée par la frénésie de l’un et sauvée par la folie d’un autre. Folie, car qui pense à créer un nouveau vampire au cœur de cette sanglante violence ? Parfois, elle voit les yeux de son créateur dans les traits d’autrui. Le sommeil la prend ensuite pour faire taire ce pincement au cœur. Quelque part, dans son esprit brumeux, le souvenir de bras puissants qui l’empêchent de se jeter au cou de toutes ces proies surgit dans ses moments les plus vulnérables. Elle voit des pins hauts comme le ciel et de la neige qui monte jusqu’à sa taille et nuit à ses mouvements.

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Lyudmilla est une femme de curiosité et d’expérimentation. A-t-elle choisi son domaine, ou celui-ci l’a-t-elle choisi ? Un mystère de plus emporté par les affres du temps. La vie des vampires étant intrinsèquement liée à celle de l’humanité, Lyudmilla participe activement à leur survie. Elle se retrouve à tenir dans ses bras des femmes éplorées qui peinent à pousser hors de leur corps la créature qui y vit chaudement. Elle berce des nouveaux nés violacés emmitouflés de laine jusqu’à ce que la vie daigne leur offrir une existence. Lyudmilla redonne aux femmes humaines le savoir périnatal qui a été oublié avec la venue de l’ère glacière.

La guerre. Les humains s’arment. Les bébés qu’elle a sorti de leur mère quelques années plus tôt pointent sur elle leurs lames et leurs fourches. Lyudmilla n’est pas une combattante et n’a pas l’intention d’en devenir une. Elle doit quitter l’agglomération où elle est installée confortablement depuis tant d’années pour ne pas se faire lacérée et décapitée. Afin de fuir les dangers, Lyudmilla voyage vers l’ouest. Elle recherche un havre, une maison. La guerre la pousse sauvagement d’un côté, puis de l’autre. Elle ne saurait pointer sur une carte les lieux traversés. Le sud l’accueillit quelques années avant qu’elle ne remonte au nord. Des zigzags géographiques qui l’ont sans arrêt déracinée. Lyudmilla poursuit sa course vers l’océan. Comment la lune se reflète-t-elle sur les vagues qui couvrent les abysses ?

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Roncepourpre est sa destination finale. Pourquoi la France ? Lyudmilla ne peut l’articuler. L’endroit lui a paru être le bon, à l’époque. Bien qu’elle ne parvienne pas à justifier son choix, elle ne le regrette pas. Au travers de l'hiver éternel, elle apprend à aimer cet endroit. La langue la surprend et la met au défi. Quels drôles de sons ils font, ces français. L’immortalité lui offre tout le temps du monde pour maîtriser la singularité de Roncepourpre. Elle s’étonne d’oublier les mots qui ont bercé son enfance et se doit parfois de raviver l’alphabet de sa patrie maternelle pour la maintenir en vie.

La guerre, loin d’avoir aidé l’humanité à exister, encourage Lyudmilla à poursuivre sa pratique périnatale. Elle amène de sa nation d’antan les savoirs qu’elle a acquis, redécouvre ce que les voyages et la faillibilité de sa psyché lui a fait oublier. Les pratiques déjà présentes lui ouvrent de nouvelles voies d’exploration et lui permettent de consolider des pratiques plus sécuritaires pour les naissances.

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Cette contribution importante attire les regards de ceux qui dirigent. Davantage de mères et de bébés survivent grâce aux efforts soutenus de Lyudmilla. En remerciement elle a été décorée d’un brin de noblesse. Depuis, elle est nommée Dame Lyudmilla de Serres (elle a même son ptit nom français !)

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Hélas, ces derniers siècles sont difficiles sur la vampire qui se fait vieille. Les grossesses se font de plus en plus courtes et les bébés grandissent beaucoup plus rapidement qu’auparavant. En réalité, rien n’a changé, si ce n’est que son âge. Elle peine à suivre le rythme de vie des humains, à trouver l’énergie de suivre leurs péripéties. Lyudmilla dort souvent, trouvant refuge au sein de ses songes. Elle ouvre ses yeux assoiffés dans l’espoir de trouver ce qui la gardera éveillée.

Lyudmilla étant ridiculement âgée et narratrice peu fiable de sa propre vie, voici quelques éléments divers :
– Qu’elle refuse de s’en rappeler ou que le souvenir soit simplement trop lointain, Lyudmilla a été transformée en vampire par son amant de l’époque. Celui-ci périt aux mains des humains.
– Elle est membre de la Confrérie d’Aristote depuis le 29ième siècle. Qui l’a introduite aux Adelphes ? Qui sait ! Lyudmilla soupçonne que l’invitation est arrivée alors qu’elle tenait dans ses bras le bébé le plus dodu de l’humanité.
– Son style de vie de flemmarde est un ajout récent à son existence. Ses recherches ont ralenti, sa participation scientifique s’est amenuisée. Les songes rocambolesques supplantent la vie ennuyeuse. Heureusement, il y a la possibilité de semer les graines du chaos lorsqu’elle est éveillée pour se divertir !
– Les humains grandissent si vite et vivent si peu longtemps que Lyudmilla a de la difficulté à les replacer. Elle les aime, les petits humains ! Mais ils changent tant en si peu de temps. Sa notion du temps désorganisée l’empêche de nouer des liens authentiques avec ceux-ci. Toutefois, les quelques uns qui sont parvenus à la saisir sont devenus, s’ils l’ont désiré, vampires eux-mêmes.