Tout à commencé par un parcours banal, rien d'extraordinaire pour une famille propriétaire d’une boutique de vieux textiles. Pourtant, suite à la rénovation du manoir et le retour du Seigneur de ces terres, tout allait changer pour la communauté du Bourbier. Ainsi en mettant son fils au monde, Colline, épouse de Baptiste Joseph, ne savait pas encore qu'elle donnerait son petit homme au manoir afin de servir les vampires. Beaucoup craignaient les immortels, mais pour les parents du garçon, c’était surtout l’opportunité de lui offrir un avenir en lui permettant d’apprendre de ces êtres aux richesses évidentes. Le jour où il apprit qu’il s’y rendrait à ses dix-neuf ans, Isarius n’avait que douze ans. Ainsi, il fut parmi les premiers calices de la région, plié sous le règlement d’Alastair de Roncepourpre.

Les premiers jours en tant qu’esclave furent aussi rudes que ce à quoi il s’était préparé. Être séparé de sa famille et de ses amis s’était avéré être une épreuve, même s’il trouva quelques camarades de son âge sur place. Puis surtout, vivre avec des vampires était plus surprenant qu’imaginé. Alors il lui fallut plusieurs mois pour s’attacher à l’un d’eux, un peu plus âgé que les visages jeunes de ses semblables, et trouver en commun une passion pour le tissage et le textile. Par la suite, l’éternel cinquantenaire lui fit part de nombreuses histoires de ses voyages passés. Ils se rapprochèrent tendrement, aux dépends du calice que possédait déjà l'immortel.

L'esclave prit donc la décision de le rester pour garder l'autorisation de fréquenter le vampire sans encombres. De sa première morsure, Isarius n’en tira pas de souvenir particulier. Comme une première fois, les années évaporent les détails, les humeurs, pour ne garder que l’image de ce qui était enfin fait. Jamais Isarius ne chercha à s’offusquer de ce qu’il était. Il avait la chance d’être nourri et chauffé, et de suivre une éducation discrète par le biais de son ami protecteur. Ses principaux conflits vinrent en fait du parti humain, et plus particulièrement du calice de son maître, calice dont la jalousie lui jouera de nombreux tours.

La jalousie de l’un écrasant l’indifférence de l’autre, tous deux savaient que l'esclave était arrivé en dernier et que Damien, le calice, serait le premier à partir. Et voyant chez Isarius une raison pour laquelle son maître ne le garderait pas à la fin de son caliçat, plus le temps passait, plus le problème prenait inévitablement de l’ampleur. Bientôt, Isarius se sentit concrètement menacé, et la vieille créature avait bien d’autres choses à régler, yeux fermés sur les indices de l’événement qui lui pendait au nez.

Un soir, Damien poussa Isarius par la fenêtre de la chambre, au dernier étage du manoir. Ce qui passa pour un accident se refléta comme une tentative de meurtre aux yeux du vampire enfin éveillé. Après tout, il ne restait que quelques semaines avant que Damien retourne chez lui.

Isarius fut maintenu entre la vie et la mort. Aussi, une fois que Damien quitta le manoir, le maître prit la lourde décision de transformer l’innocent. Et malgré le peu de chance de le voir se réveiller, le regard plus rougeâtre qu'auparavant, l’ancien esclave ouvrit miraculeusement les paupières sur ce monde qui s’offrait à ses nouveaux sens.

Pris en charge par son nouveau père et entouré dans l’apprentissage de cette immortalité à laquelle il devait désormais s'accommoder, ils reçurent l’autorisation de partir pour voyager en travers la France. C’était une façon de tourner la page, et pour Isarius une étape pour s’oublier. Alors après un séjour dans sa famille, dès lors au courant de son malheureux changement, il prit la route vers de nouvelles conquêtes aux côtés de celui qui, sous une autre forme, l’avait ainsi créé.

L’expédition fut dangereuse et rarement de tout repos. Ils avaient beau être immortels, Isarius connut cette faim violente, les ravages du froid même sur leur chair inerte, et les périples entre chaque villes et villages. Le novice en ressortit d’autant plus reconnaissant de ce qu’un domaine comme celui des Roncepourpre avait à offrir. Il connut néanmoins l’aventure, la vision des terrains vastes et la matérialisation d’un monde immense. Finalement, avec son père ils quittèrent la France, visitèrent les différents lieux qu’il leur était permis d’atteindre, autant de fois que la cruauté de l’ère glaciaire et des jours clairs les leur permettaient.

Mais à force de jouer, il faut aussi accepter de perdre. Prendre les voiles de nuit et dans les tempêtes gelées était sans nul doute ce qu’il y avait de plus stupidement dangereux dans leurs projets. Une nuit, effectivement, le bateau les menant vers une île voisine bascula et son père passa par-dessus bord. Le calme revenu, il fut impossible de le retrouver. 

Isarius mit plusieurs années pour ne plus souffrir ouvertement de la culpabilité de cette perte. Peut-être aurait-il dû faire attention le soir de l’accident ? Ou peut-être que s’il n’avait pas alimenté les souvenirs de son ancien maître durant toutes ces années, il ne l’aurait pas égoïstement poussé à partir ? Peut-être que s’il avait pris la peine de comprendre Damien, tout cela ne serait pas arrivé ? Le cœur en peine, le jeune vampire revint sur ses terres natales. 

D’abord, il fit une demande de formation pour devenir garde. Durant plusieurs années, il se chargea donc de la protection aux alentours du manoir, tout en continuant à rendre visite à sa famille vieillissante. Mais quand voir ses proches partir, les générations s’enchaînant et les liens se brisant, il décida de ne plus se lier à cette lignée éphémère. Et en se faisant exemplaire auprès de ses dirigeants, il bascula vers un nouveau poste : collecteur d’humains. Une façon se s’épanouir davantage pour lui, lui qui ne tient pas en place et apprécie les déplacements, lui qui sait mieux que quiconque l’épreuve que ces jeunes hommes s’apprêtent à traverser. Car si cela date d'il y a plus de quatre-cents ans, il fut tout de même un des premiers calices du caliçat du manoir Roncepourpre.