Première vie

1854,
Année de naissance d’Ézéchiel Green, né dans une petite ville agricole proche de Londres. Son père était un riche entrepreneur propriétaire de plusieurs terres, et sa mère une femme au foyer stricte et sévère. Ézéchiel a tout hérité d'elle. Une beauté froide et une peau claire, des traits finement marqués, des cheveux sombres et la couleur de ses yeux. Autant dire qu'il a pu bénéficier de l'éducation la plus droite et ambitieuse qui soit, même s'il n'aura jamais été son frère aîné, modèle bien plus que parfait comparé à ce qu'il était. Ce dernier avait tout eu de leur père, de sa carrure à sa voix robuste et portante.

Second fils d'une fratrie de trois héritiers, Ézéchiel n'était pourtant pas pire que son cadet. Placé entre deux extrêmes, il était l'enfant discret et autonome, ainsi qu'un enfant studieux parfois trop curieux, dont les petits animaux étaient des victimes et l’état d’esprit de ses camarades un terrain de jeu. Lorsqu'il jouait avec ses frères, il n'était jamais loin quand le plus jeune faisait ses bêtises, puis, lorsqu’il rejoignait son aîné, il se trouvait également là quand il s'agissait de souligner une des rares erreurs de son glorieux aîné. Ézéchiel était l'ombre de Daniel et de Jonas, un murmure perché sur l'épaule gauche de chacun d'eux.

Daniel. Tout présageait sa réussite au fil des années. Fils à papa, il servait d'exemple en se montrant le plus légitime, le plus obéissant et aussi fier qu'un premier. Premier en tout d'ailleurs. C'était là la seule chose qui le caractérisait.

Quant à Jonas... disons que les ordres n'étaient pas faits pour lui. Il ne les acceptait pas, peu importe de qui. Pourtant bon et juste, il demeurait incompris dans cette famille catholique et intransigeante. Et à peine eut-il atteint l'âge de rejoindre les affaires familiales, qu'on le mit à la tête d'une des plus pauvres terres de son géniteur afin de mieux le mettre à l'écart. Jonas ne tint pas longtemps avant de fuir dans la capitale, coupant ainsi les ponts avec sa famille.

Et enfin Ézéchiel, qui dès l'âge de vingt-et-un ans fut à la charge de plusieurs employés, puis bientôt marié.

Sa femme n'aura jamais su lui donner d'enfants, peut-être car elle tombera gravement malade quelques années plus tard pour rapidement le laisser veuf, ou peut-être car son agonie se termina au bas de leur escalier après qu’elle y soit mystérieusement tombée. De cette perte, on raconta que Green gardait bien ses émotions, à l’image d’un homme. Et l'on crut que tout cela l'avait rendu d’autant plus aigri et discret, mais la nuit tombée, il vivait sa jeunesse entre les murs cachés de la ville la plus près. Au quart de sa vie, il se sentait en fait suffisamment vieux pour remettre en question ses choix d’existence. Un matin difficile, il retrouva une lettre de Jonas. Peut-être que Londres l'attendait lui aussi.

L'année suivante, sous un long manteau noir et couvert par celui des nuits lugubres du règne victorien, Ézéchiel se fondait dans le décor de la capitale à la recherche d'une inspiration, d'une raison ou d'une place faite pour lui. Sous prétexte d'étendre l'industrie de son paternel dans un milieu rural en pleine expansion, il avait finalement su garder une crédibilité aux yeux de ce dernier ainsi que les revenus qui lui étaient dus. Se hissant dans un milieu bourgeois, Ézéchiel n'avait pas tardé à se trouver une nouvelle femme avec un nom influent.

Mais c'était le monde nocturne qu'il affectionnait. Les prostituées, les pubs lugubres où s'exprimait la détresse des pauvres gens, ces lieux où il put retrouver son frère cadet, aussi déchaîné et sans limites que dans ses souvenirs. Le bougre devait de l'argent à la moitié des hommes les moins fréquentables de la ville, ce qui lui vaudra d'être retrouvé assassiné dans une ruelle quelques années plus tard. Un sort auquel Ézéchiel ne l'aura jamais sauvé. Jonas n'ayant jamais accepté de quitter sa misérable femme pour une autre plus riche et haut placée, que son jeune aîné lui avait proposée pour lui rendre une place dans la société.

Cependant, Ézéchiel ne l'aura jamais connu jusqu'à sa fin, puisque sa propre mort civile arriva bien avant.

Contexte classique d'une femme mystérieuse rencontrée une nuit et ainsi d'une amante intrigante. Il aurait du mourir mille fois cette date là, lors de ces heures de débauche durant lesquels il n'avait montré aucune crainte à franchir toutes les limites. Il aurait tout autant apprécié mourir, baigné dans le sang et sous les chants démoniaques de jouissances immorales. Elle décida de le garder auprès de lui, enfermé sous les caves de Londres, jusqu'à ce qu'il devienne sien.

Elle ne le tua pas. Elle le fit naître.

Renaissance

Elle n'était pas une succube et pourtant elle n'était en rien de ce monde. Modèle d'amour interdit, d'une beauté sans nom et d'une perversité délicate, Lucy avait su capturer et éteindre son cœur à sa manière. Elle lui avait montré ce qu'il avait cherché depuis si longtemps, lui avait ouvert les portes vers un nouveau monde, l'invitant ainsi dans des ténèbres glorieuses où le pouvoir satisfaisait n'importe quelle soif.

C'était une nouvelle existence qui s'offrait à lui. Il se fit passer pour mort auprès de toutes ses connaissances puis il quitta l'Angleterre pour se réfugier en Belgique et ensuite en France. Les décennies passèrent sans qu'il prenne une ride, et avec Lucy ils trouvèrent d'autres de ces créatures que l'on nomme vampires. Et quelques années plus tard, en passant par les îles d'Irlande, Ézéchiel prit la décision de gagner son indépendance en quittant la route de sa muse, jugeant qu'il avait déjà tout appris d'elle. Elle ne l'accepta pas. Perdre un de ses hommes l'a mettait toujours hors d'elle-même, mais il ne fallut à Ézéchiel que de dévoiler quelques secrets pour qu'un beau matin, la pauvre se fasse emmurer par l'un de ses amants. Sans cœur, elle n'avait fait qu'éveiller le traître infâme qui était en lui.

Retrouvailles

En retournant sur les terres de son enfance, celles qui portaient encore son nom, Ézéchiel prit connaissance de l'état inquiétant de son père. Et tandis qu'il revint un soir dans le bureau de la demeure familiale où il avait grandi, à revoir peut-être pour la dernière fois la collection impressionnante de livres qui l'avaient instruit, il avait entendu une voix si douce derrière lui.

« Mon oncle ? »

Un instant, il crut entendre Lucy.

Lorsqu'il s'était retourné, il ne s'était pas attendu à découvrir la femme qu'était devenue la fille de son frère aîné. Un poupon lorsqu'il l'avait quitté, certainement une mère alors qu'il la retrouvait. Elle ne devait avoir de souvenirs de lui qu’une des peintures qui demeurait dans cette maison. Malgré son absence, il fut surpris de comprendre que son aîné et ses parents avaient continué à le mentionner. Il douta que ce fût également le cas pour Jonas.

Il avait donc regardé cette jeune femme aussi heureuse qu'effrayée de découvrir cet homme venu d'entre les morts. Elle devait tenir de sa mère, car malgré les doutes elle ne prit pas la fuite, le dos droit et d’un sang-froid remarquable.

Non, elle était plutôt comme lui: une Green trop curieuse.

Autant dire que ce fut un cadeau des plus plaisants pour lui de se pencher à son cou et d'en boire les effluves de son propre sang. Daniel en serait vert de maladie et rouge de rage s'il l'apprenait, une raison plus que suffisante pour qu'il le fasse. Et la pauvre sotte s'était laissé séduire par le fantôme qu'il était, si surprise qu'elle s'était fait mordre sans trembler. Une proie facile, mais délicieuse. Un vice venu à lui, le surprendre et le délecter de nouveaux sens. Avoir trahi Lucy était une chose, mais prendre la vie de sa propre nièce signa le bien-être qu’il tirait à détruire la confiance des siens.

Lorsqu'elle fut enterrée deux jours plus tard, Ézéchiel eut l'indécence de se montrer présent au fond de ce tableau terne, empli d'injustices et d'incompréhensions, de la cérémonie. Il avait observé en arrière-plan les visages abattus et baissés de ceux qui autrefois faisaient partie de sa famille. Il avait vu son père incapable de se tenir debout et Daniel chercher à comprendre d'où lui venait sa colère. Celui-ci s'était probablement senti observé, car en levant les yeux à la fin du sacrement, son regard avait croisé celui de son frère décédé avant que l’illusion disparaisse. Un frère qui n'avait pas vieilli.

Snake

Suite à cet épisode, Ézéchiel avait continué sa sombre existence sans jamais revenir voir les Green. Il avait traversé les guerres et les famines avec sous son regard affamé d’immonde toutes les horreurs dont était capable l'humain. Il en joua ouvertement, immortel, et donc sans plus aucune limite. Il profita de cette existence faite pour lui, de cette place digne et des offrandes que l’obscure lui offrait. Ses croyances envers les forces du Mal s’intensifièrent au fil des siècles qui lui étaient accordés.

Ses autres semblables n'étaient pas très fidèles, eux. Lui-même se prétendait loup solitaire, quand pourtant il cherchait à trouver les siens. C'est ainsi que durant ses nombreux voyages il fit la connaissance de la famille Roncepourpre, et plus particulièrement d'Aymeric avec qui il fit un bout de chemin, ou encore Erèbe qui creusa son aversion aux bons sentiments.

Mais dans les années 2000, les technologies grandissantes et surprenantes eurent raison du vieil aigri qu'il était. Plus rien ne semblait vrai, tout allait trop vite, trop loin, et malade de cette évolution fulgurante il se renferma sur lui-même. Bientôt, dépouiller des victimes afin de voler leurs biens devint plus compliqué, les recherches criminelles ayant évoluées. Son quotidien étant devenu plus pauvre, plus discret et moins aisé, Ézéchiel dut revenir sur ses origines pour assurer de nouveaux revenus.

Au nom de Snake, il épousa la descendance de sa propre famille. Une nièce lointaine qui décédera d'un curieux accident, elle aussi, douze années plus tard. À sa mort, elle lui rendra l'héritage qu'il avait quitté il y a bien trop longtemps. De nouveau sur pieds, au sein d'une petite bourgeoisie qui l'avait oublié, Ézéchiel put se remettre à exister. Il hérita d'un manoir que sa famille avait pu acquérir.

L'ère glaciaire

S’il avait regardé l’humanité se détruire non sans curiosité quant à son propre avenir, il ne s’était pas attendu à ce que le globe se recouvre principalement de glace. C’était arrivé progressivement, pour lui, qui voyait le temps se faire sans patience. L’immortalité était devenue longue. Une passion pour les reptiles et quelques échanges autour de livres publiés sur la sorcellerie, ne rendant aucune âme à son cœur définitivement éteint. Le froid vint aussi geler ce qu’il restait de ses attentes et ses affections.

Cloîtré dans son manoir, il accueillit des domestiques humains pour se nourrir, n’ayant jamais eu honte de varier ce qu’il buvait depuis des siècles déjà, et il s’entoura de cinq filles de son espèce.

Sérena. Isabelle. Rose. Victoria. Judith.

Cinq sorcières qu’il éduqua pour chasser et faire vivre ce lieu dans lequel la neige les enfermait. Il glorifia le Mal, s’y enfonçant pour couvrir la flamme éteinte de son être sous ce goudron de surpuissance. Par son amour envers le diable, il assura sa survie plutôt que de tomber dans le non-sens. Les vampires étaient des créatures venues pour dominer une nature aussi vile que bienveillante, c’était pour lui un fait. L’ère était venue le lui exposer, soulignant un peu plus sa folie. Et un jour, un démon blanc trouvé dans la neige pour le lui confirmer.

Il trouva Desirae avec pour seul but de le sacrifier, car rendre aux forces nuisibles ce qu’elles-mêmes avaient créé devint pour Ézéchiel une manière de les appeler. Le sang d’un immortel de son âge était la réclamation d’une reconnaissance, ainsi il souhaita prouver qu’il valait plus qu’un autre monstre. Mais ce démon-là ne portait pas le bon message, puisque c’était ensemble qu’ils étaient voués à dominer. Desirae arriva étonnement à survivre au rituel qui lui fut imposé, et à jamais Snake le prit à ses côtés. Nahaliel devint son partenaire maléfique. Sa moitié.

Plus tard, ils prirent les armes auprès d'Aymeric de Roncepourpre en France, la fidélité d’Ézéchiel pour ce dernier demeurant rare car portée par les siècles de leurs convictions partagées et leur rare amitié. La guerre fut déclarée entre les humains et les vampires, s’en suivit un Caliçat peu apprécié et une forme de défaite pour l’armée choisie par l’anglais. Dommage, peut-être n'aurait-il pas pris la peine d'y sacrifier quatre de ses filles.

Vieux vampire qu'il était, Snake estima en avoir assez vu de cette humanité pour se montrer conciliant envers elle. D'autant que posséder des martyres arrangeaient ses états d'âmes. Les humains méritaient d'être écrasés.  

La fin d'une guerre

Il mit en place ses propres lois sur les terrains appartenant à son héritage en Angleterre. Mais depuis la guerre ses ambitions étaient restées en France, où il revint pour se faire inviter chez les Roncepourpre, malgré l’absence d’Aymeric. Marquis de terres lugubres et pauvres dans son pays d'origine, d'un autre Seigneur tout autant tyrannique pourtant, le voici venu convoiter ce qui appartient à son vieil ami et les origines de son époux, afin d'aspirer à des terres plus grandes et influentes.

Il y posa définitivement bagage après de nombreux allers-retours, rasant de ses terres nombre de vies et laissant la gestion des restes à son époux, Nahaliel, ou sa fille Judith. Il dut mettre sous silence ses désaccords, qui fut un temps lui avait porté préjudice quant à l’image qu’il renvoyait. Il se fit plus fin, plus conciliant, pour mieux se faufiler dans les rouages du domaine.

Ainsi, Ézéchiel se mit au service des Roncepourpre en tant que scribe et secrétaire. Une humiliation peut-être, mais c'était un prix à payer pour rester ici, au plus près d'Alastair et qui sait, de sa chute à venir.