Je suis née dans la seconde moitié du 28ème siècle, pas la meilleure période pour l'humanité vous me direz.
Mais si les souvenirs de ma prime jeunesse commencent à m'échapper, j'ai encore conscience que la fortune de ma famille parvenait à nous faire échapper au froid glacial qui faisait rage partout.
Je me rappelle encore vaguement que mon père était à la tête d'une grande entreprise pharmaceutique, cela maintenait un toit au-dessus de notre tête, de la nourriture sur notre table et du chauffage à peu près constant.
Et nous étions même suffisamment riches pour que je parvienne à suivre des études dans ce chaos, médecine et pharmacologie, dans l'espoir sans doute que les choses s'arrangent et que je puisse perpétuer l'entreprise familiale.
Mais les choses ne se sont pas arrangées : au chaos provoqué par la glaciation et aux attaques d'abord sporadiques de vampires, leur révélation à la face du monde a déclenché une véritable guerre avec cette nouvelle espèce.

Or, dans une guerre, les médecins sont réquisitionnés pour soigner les blessés.
Et dans une guerre, attaquer les hôpitaux est une tactique comme une autre.
Je ne sais ce qui a frappé le bâtiment où j'exerçais - missile ou bombe ou un autre engin de destruction que l'humanité prenait plaisir à inventer - mais encore aujourd'hui je me souviens du souffle de l'explosion, du sifflement dans mes oreilles, de la douleur crucifiante qui m'a irradiée toute entière, des gémissements et des appels à l'aide qui retentissaient autour de moi sans que j'ai la force de me relever, du froid qui m'envahissait à mesure que le sang coulait à flot de mes plaies...
Alors que la conscience me quittait, je me souviens encore de la silhouette qui se dessinait au travers du trou béant là où se tenait un mur quelques instants auparavant, la silhouette du vampire qui m'a faite...
Je vous laisse imaginer ce qu'ont pu être mes jeunes années dans cette nouvelle vie dans le chaos de la guerre mais disons simplement que ce n'était pas très beau à voir...

Quoi qu'il en soit, une fois la paix actée entre vampires et humains, il était temps pour moi de décider quoi faire de cette vie éternelle qui m'était donnée.
Ma famille étant originaire de l'Est de la France, mes pas m'ont rapidement guidée au domaine tout neuf de Roncepourpre.
Je m'y suis établie peu après qu'Alastair y ait pris le pouvoir, avoir un médecin digne de ce nom parmi ses sujets n'était pas de trop s'il voulait pouvoir maintenir une population viable sur place.
Je pense que c'est aussi depuis cette époque que je suis en bons termes avec les Labrumal, j'ai pris place au sein de la Confrérie d'Aristote peu de temps après mon arrivée par leur truchement et j'ai soigné toute leur famille, génération après génération, depuis lors.

Depuis cinq siècles, je vis au coeur de la cité et ma maison s'ouvre la nuit à ceux qui viennent sonner à ma porte en quête d'un médecin aux heures les plus sombres.
J'accueille aussi sous mon toit les orphelins en âge de travailler en tant que domestiques.
Je fais de mon mieux pour m'entendre avec chaque génération du Bourbier, pour me rendre utile auprès d'eux, même à enseigner les arcanes de la médecine à ceux qui le désirent mais je consacre surtout mon temps à étudier tout ce que je peux trouver sur ces terres gelées pour confectionner des médicaments aussi efficaces que possible pour protéger les éphémères vies humaines.
Pour avoir connu la fureur de la guerre, je sais à quel point la paix est précieuse et je ferais ce qui est mon pouvoir pour la maintenir à ma façon.